Au 19e siècle et au début du 20e, dans certaines régions du Québec, on ne badinait pas avec la danse. Du haut de la chaire, plusieurs curés pourfendaient les soirées où les jeunes gens et jeunes filles dansaient le cotillon. « En 1830, le curé de Saint-Jean de l’île d’Orléans, l’abbé Antoine Gosselin, écrit à son évêque qu’avec la grâce de Dieu, il est parvenu à supprimer les bals et danses publiques; mais, ajoute-t-il, on s’échappe dans des petites veillées assez fréquentes en hiver » .1
Plusieurs paroissiens respectent cependant les directives de leur évêque. C’était le cas de mon arrière-grand-père Didace Fournier (baptisé Anselme-Ézéchias). Lui non plus ne badinait pas avec la danse, comme le démontre le texte qui suit.2
« Son cœur demeure profondément attaché aux belles traditions canadiennes et exige que sa famille y soit également fidèle. Son plus grand bonheur, c’est la réunion de famille, les petites veillées de “chez nous” où l’on rit, où l’on chante, où l’on fait du tapage, mais où on ne parle pas de danses mêlées! C’est l’insulter que venir lui demander de jouer du violon pour une de ces danses, fussent-elles les plus innocentes!
Il est un bon joueur de violon, Papa Didace; joueur de campagne, bien entendu, jamais on ne l’a vu jouer pour des danses mêlées. Un jour, les amis des jeunes filles de Papa Didace… demandent à leurs amies d’insister un peu plus : “Après tout, ce n’est qu’un amusement comme les autres!” Elles obéissent. À la première demande, elles essuient un refus; mais elles ne se découragent pas et reviennent à l’assaut! À la fin… Victoire!!!… Le Papa cède! Le violon sort de son enveloppe et l’archet le fait résonner comme jamais. On danse un quadrille, puis un deuxième, puis un troisième; puis fatigués et satisfaits, on remercie gentiment le bon joueur! Papa Didace lève les yeux :
— Avez-vous bien dansé?
— Oui, Papa! Oui monsieur Fournier! Merci beaucoup!
— Vous avez bien dansé?
— Oh! oui, merci!
— Bien!
Il place une main sur la tête du violon, l’autre sur la boite de résonance, lève le genou, met l’instrument en morceaux, se lève, le jette au feu; promène son regard sévère sur sa famille qui suit avec angoisse les mouvements du père et ajoute ses paroles :
— C’est ainsi que j’apprécie la danse, mes enfants!
La veillée est courte; et de danse, on n’en parle pas de sitôt… »
(Article déjà publié dans le journal Dans l’temps de la Société de généalogie Saint-Hubert)
1 PROVENCHER, Jean (1966) C’était l’hiver, Les Éditions du Boréal Express, 278 p.
2 LALIBERTÉ, Michel, cssr (1940) Vie édifiante et exemplaire de Albertine Fournier, épouse de François-Xavier Laliberté, manuscrit non-publié.